Le Cabecillapage 3 / 4
Avant que le bon père eut fini, toutes les casquettes étaient en l'air, et les cris de «vive le roi Carlos ! - vive le cabecilla !» retentissaient dans la montagne. Pauvres diables ! Ils avaient eu si grand'peur de mourir ; et c'était si tentant toutes ces bonnes viandes qu'ils sentaient là près d'eux, en train de griller à l'abri des roches, devant des feux de bivouac roses et légers dans la grande lumière ! Je crois que jamais le prétendant ne fut acclamé de si bon coeur. «Qu'on leur donne vite à manger, dit le curé en riant.
Quand les loups crient de cette force, c'est qu'ils ont les dents longues». Les carabiniers s'éloignèrent. Mais un d'entre eux, le plus jeune, resta debout devant le chef, dans une attitude fière et résolue qui contrastait avec ses traits d'enfant et le duvet fin, à peine coloré, enveloppant ses joues d'une poudre blonde. Sa capote trop grande lui faisait des plis dans le dos, sur les bras, se relevait aux manches sur deux poignets grêles, et par son ampleur l'amincissait, le rajeunissait encore. Il y avait de la fièvre dans ses longs yeux brillants, des yeux d'Arabe avivés de flamme espagnole. Et cette flamme fixe gênait le cabecilla.
- Qu'est-ce que tu veux ? lui demanda-t-il.
- Rien... J'attends que vous décidiez de mon sort.
- Mais ton sort sera celui des autres. Je n'ai nommé personne. La grâce était pour tous.
- Les autres sont des traîtres et des lâches.... Moi seul je n'ai pas crié.
Le cabecilla tressaillit et le regarda bien en face :
- Comment t'appelles-tu ?
- Tonio Vidal.
- D'où es-tu ?
- De Puycerda.
- Quel âge ?
- Dix-sept ans.
- La République n'a donc plus d'hommes, qu'elle est réduite à enrôler des enfants ?
- On ne m'a pas enrôlé, padre... Je suis volontaire.
- Tu sais, drôle, que j'ai plus d'un moyen pour te faire crier : «Vive le roi !»
L'enfant eut un geste superbe : Je vous en défie !