Le Cabecillapage 2 / 4
Par miracle, ce matin-là, le père était d'humeur clémente. Cette messe au grand air, son succès de la veille, et aussi l'allégresse du jour de Pâques, sensible encore à cet étrange prêtre, mettaient sur sa figure un rayon de joie et de bonté. Sitôt l'office terminé, pendant que le sacristain débarrassait l'autel, enfermant les vases sacrés dans une grande caisse qu'on portait à dos de mulet derrière l'expédition, le curé s'avança vers les prisonniers.
Ils étaient là une douzaine de carabiniers républicains, affaissés par une journée de bataille et une nuit d'angoisses dans la paille de la bergerie où on les avait enfermés après l'action. Jaunes de peur, hâves de faim, de soif, de fatigue, ils se serraient les uns contre les autres comme un troupeau dans une cour d'abattoir. Leurs uniformes remplis de foin, leurs buffleteries en désordre, remontées dans la fuite, dans le sommeil, la poussière qui les couvrait entièrement du pompon de leurs casquettes à la pointe de leurs souliers jaunes, tout contribuait bien à leur donner cette physionomie sinistre des vaincus où le découragement moral se trahit par l'accablement physique.
Le cabecilla les regarda un instant avec un petit rire de triomphe. Il n'était pas fâché de voir les soldats de la République, humbles, blafards, déguenillés, au milieu des carlistes bien repus, bien équipés, des montagnards navarrais et basques, bruns et secs comme des caroubes...
«Viva Dios ! mes enfants, leur dit-il d'un air bonhomme, la République nourrit bien mal ses défenseurs. Vous voilà tous aussi maigres que les loups des Pyrénées quand les montagnes sont couvertes de neige et qu'ils viennent dans la plaine flairer l'odeur de la carne aux lumière qui luisent sous les portes des maisons... On est autrement traité au service de la bonne cause. Voulez-vous en essayer, hermanos ? Jetez ces infâmes casquettes et coiffez-vous du béret blanc... Aussi vrai que c'est aujourd'hui le saint jour de Pâques, ceux qui crieront «Vive le roi !» je leur donne la vie sauve et les vivres de campagnes comme à mes autres soldats».