Les voisinspage 1 / 9
On aurait vraiment pu croire que la mare aux canards était en pleine révolution, mais il ne s'y passait rien. Pris d'une folle panique, tous les canards qui, un instant avant, se prélassaient avec indolence sur l'eau ou y barbotaient gaiement, la tête en bas, se mirent à nager comme des perdus vers le bord, et, une fois à terre, s'enfuirent en se dandinant, faisant retentir les échos d'alentour de leurs cris les plus discordants. La surface de l'eau était tout agitée. Auparavant elle était unie comme une glace, on y voyait tous les arbres du verger, la ferme avec son toit et le nid d'hirondelles, au premier plan, un grand rosier tout en fleur qui, adossé au mur, se penchait au-dessus de la mare. Maintenant on n'apercevait plus rien, le beau paysage avait disparu subitement comme un mirage. À la place il y avait quelques plumes que les canards avaient perdues dans leur fuite précipitée, une petite brise les balançait et les poussait vers le bord. Survint une accalmie, et elles restèrent en panne. La tranquillité rétablie, l'on vit apparaître de nouveau les roses. Elles étaient magnifiques, mais elles ne le savaient pas. La lumière du soleil passait à travers leurs feuilles délicates, elles répandaient la plus délicieuse senteur.
- Que l'existence est donc belle ! dit l'une d'elles. Il y a pourtant une chose qui me manque. Je voudrais embrasser ce cher soleil, dont la douce chaleur nous fait épanouir, je voudrais aussi embrasser les roses qui sont là dans l'eau. Comme elles nous ressemblent ! Il y a encore là-haut les gentils petits oiseaux que je voudrais caresser. Comme ils gazouillent joliment quand ils tendent leurs têtes mignonnes hors de leur nid ! Mais il est singulier qu'ils n'aient pas de plumes, comme leur père et leur mère. Quels excellents voisins cela fait ! Ces jeunes oiseaux étaient des moineaux, leurs parents aussi étaient des moineaux, ils s'étaient installés dans le nid que l'hirondelle avait confectionné l'année d'avant : ils avaient fini par croire que c'était leur propriété.