Le Schilling d'argent : Deuxième partiepage 2 / 3
- Faut-il que j'aie encore le malheur de peser sur la conscience de cette brave femme ! me dis-je en soupirant. Ah ! qui aurait supposé, en me voyant si brillant dans mon jeune temps, qu'un jour je descendrais si bas ?
- La vieille femme entra chez l'opulent boulanger, celui-ci connaissait trop bien les pièces ayant cours pour se laisser prendre : il me jeta à la figure de la pauvre vieille, qui s'en alla honteuse et sans pain. C'était pour moi le comble de l'humiliation ! J'étais désolé et navré, comme peut l'être un schilling méprisé, dont personne ne veut. La bonne femme me reprit pourtant, et, de retour chez elle, elle me regarda de son regard bienveillant :
- Non, dit-elle, je ne veux plus chercher à attraper personne ; je vais te trouer pour que chacun voie bien que tu es une pièce fausse. Mais l'idée m'en vient tout à coup : qui sait ? Ne serais-tu pas une de ces pièces de monnaie qui portent bonheur ? J'en ai comme un pressentiment. Oui, c'est cela, je vais te percer au milieu, et passer un ruban par le trou ; je t'attacherai au cou de la petite fille de la voisine et tu lui porteras bonheur.
- Elle me transperça comme elle l'avait dit, et ce ne fut pas pour moi une sensation agréable. Toutefois, de ceux dont l'intention est bonne on supporte bien des choses. Elle passa le ruban par le trou : me voilà transformé en une sorte de médaillon, et l'on me suspend au cou de la petite qui, toute joyeuse, me sourit et me baise. Je passai la nuit sur le sein innocent de l'enfant. Le matin venu, sa mère me prit entre les doigts, me regarda bien. Elle avait son idée sur moi, je le devinai aussitôt. Elle prit des ciseaux et coupa le ruban. Ah ! tu es un schilling qui porte bonheur ! dit-elle. C'est ce que nous verrons.
- Elle me plongea dans du vinaigre. Oh, le bain pénible que je subis ! J'en devins verdâtre. Elle mit ensuite du mastic dans le trou, et, sur le crépuscule, alla chez le receveur de la loterie afin d'y prendre un billet. Je m'attendais à un nouvel affront. On allait me rejeter avec dédain, et cela devant une quantité de pièces fières de leur éclat. J'échappai à cet affront. Il y avait beaucoup de monde chez le receveur ; il ne savait qui entendre ; il me lança parmi les autres pièces, et, comme je rendis un bon son d'argent, tout fut dit. J'ignore si le billet de la voisine sortit au premier tirage, mais ce que je sais bien, c'est que, le lendemain, je fus reconnu de nouveau pour une mauvaise pièce et mis à part pour être passé en fraude. Mes misérables pérégrinations recommencèrent. Je roulai de main en main, de maison en maison, insulté, mal vu de tout le monde. Personne n'avait confiance en moi, et je finis par douter de ma propre valeur. Dieu, quel affreux temps ce fut-là ! Arrive un voyageur étranger. On s'empresse naturellement de lui passer la mauvaise pièce, qu'il prend sans la regarder. Mais quand il veut me donner à son tour, chacun se récrie :