Le Schilling d'argent : Deuxième partiepage 1 / 3
- Elle est fausse, elle ne vaut rien ! À ces mots, disait le schilling, je vibrai d'indignation. Ne savais-je pas bien que j'étais de bon argent, que je sonnais bien et que mon empreinte était loyale et authentique ? Ces gens se trompent, pensais-je ; ou plutôt ce n'est pas de moi qu'ils parlent. Mais non, c'était bien de moi-même qu'il s'agissait, c'était bien moi qu'ils accusaient d'être une pièce fausse ! Je la passerai ce soir à la faveur de l'obscurité, se dit l'homme qui m'avait ramassé. C'est ce qu'il fit en effet ; le soir on m'accepta sans mot dire. Mais le lendemain on recommença à m'injurier de plus belle :
- Mauvaise pièce, disait-on, tâchons de nous en débarrasser.
- Je tremblais entre les doigts des gens qui cherchaient à me glisser furtivement à autrui. Malheureux que je suis ! m'écriais-je. À quoi me sert-il d'être si pur de tout alliage, d'avoir été si nettement frappé ! On n'est donc pas estimé, dans le monde, à sa juste valeur, mais d'après l'opinion qu'on se forme de vous. Ce doit être bien affreux d'avoir la conscience chargée de fautes, puisque, même innocent, on souffre à ce point d'avoir seulement l'air coupable ! Chaque fois qu'on me produisait à la lumière pour me mettre en circulation, je frémissais de crainte. Je m'attendais à être examiné, scruté, pesé, jeté sur la table, dédaigné et injurié comme l'œuvre du mensonge et de la fraude. J'arrivai ainsi entre les mains d'une pauvre vieille femme. Elle m'avait reçu pour salaire d'une rude journée de travail. Impossible de tirer parti de moi ! Personne ne voulait me recevoir. C'était une perte sérieuse pour la pauvre vieille. Me voilà donc réduite, se dit-elle, à tromper quelqu'un en lui faisant accepter cette pièce fausse. C'est bien contre mon gré, mais je ne possède rien et je ne puis me permettre le luxe de conserver un mauvais schilling. Ma foi, je vais le donner au boulanger qui est si riche : cela lui fera moins de tort qu'à n'importe qui. C'est mal néanmoins ce que je fais.