Le compagnon de routepage 10 / 14
- J'ai tant d'amitié pour toi, disait-il, nous aurions pu rester ensemble longtemps encore et il me faut déjà te perdre. Pauvre cher garçon. J'ai envie de pleurer mais je ne veux pas troubler ta joie en cette dernière soirée qui nous reste. Soyons gais, très gais, demain quand tu seras parti, je pourrai pleurer. Dans la ville, le peuple avait très vite appris qu'il y avait un nouveau prétendant et il y régnait une grande désolation. Le théâtre était fermé, dans les pâtisseries on avait noué un crêpe noir autour des petits cochons en sucre, le roi et les prêtres étaient à genoux dans l'église. Le soir, le compagnon de route prépara un grand bol de punch et dit à son ami que maintenant il fallait être très gai et boire à la santé de la princesse. Quand Johannès eut bu les deux verres de punch, il fut pris d'un grand sommeil. Son camarade le prit doucement sur sa chaise et le porta au lit, puis il prit les grandes ailes qu'il avait coupées au cygne, les fixa fermement à ses épaules, mit dans sa poche la plus grande des verges que lui avait données la vieille femme à la jambe cassée, ouvrit la fenêtre et s'envola par-dessus la ville, tout droit au château. Le silence régnait sur la ville. Quand l'horloge sonna minuit moins le quart, la fenêtre s'ouvrit et la princesse s'envola en grande cape blanche avec de longues ailes noires par-dessus la ville, vers une haute montagne. Le camarade de route se rendit invisible de sorte qu'elle ne pouvait pas du tout le voir, il vola derrière elle et la fouetta jusqu'au sang tout au long de la route. Quelle course à travers les airs ! Le vent s'engouffrait dans sa cape qui s'étalait de tous côtés.
- Quelle grêle ! Quelle grêle ! soupirait la princesse à chaque coup de fouet qu'elle recevait. Mais c'était bien fait pour elle. Elle atteignit enfin la montagne et frappa. Un roulement de tonnerre se fit entendre quand la montagne s'ouvrit et la princesse entra suivie du compagnon que personne ne pouvait voir puisqu'il était invisible. Ils traversèrent un long corridor aux murs étincelant étrangement. C'étaient des milliers d'araignées phosphorescentes. Ils arrivèrent ensuite dans une grande salle construite d'argent et d'or, des fleurs rouges et bleues larges comme des tournesols flamboyaient sur les murs, mais on ne pouvait pas les cueillir car leurs tiges étaient d'ignobles serpents venimeux et les fleurs du feu sortaient de leurs gueules. Tout le plafond était tapissé de vers luisants et de chauves- souris bleu de ciel qui battaient de leurs ailes translucides. L'aspect en était fantastique. Au milieu du parquet un trône était placé, porté par quatre squelettes de chevaux dont les harnais étaient faits d'araignées rouge feu. Le trône lui-même était de verre très blanc, les coussins pour s'y asseoir de petites souris noires se mordant l'une l'autre la queue et, au-dessus un dais de toiles d'araignées roses s'ornait de jolies petites mouches vertes scintillant comme des pierres précieuses. Un vieux sorcier, couronne d'or sur sa vilaine tête et sceptre en main, était assis sur le trône. Il baisa la princesse au front, la fit asseoir auprès de lui sur ce siège précieux, et la musique commença. De grosses sauterelles noires jouaient de la guimbarde et le hibou n'ayant pas de tambour se tapait sur le ventre. Drôle de concert ! De tout petits lutins, un feu follet à leur bonnet, dansaient la ronde dans la salle, personne ne pouvait voir le compagnon de route placé derrière le trône qui, lui, voyait et entendait tout. Les courtisans qui entraient maintenant semblaient gens convenables et distingués mais pour celui qui savait regarder, il voyait bien ce qu'ils étaient vraiment : des manches à balai surmontés de têtes de choux auxquels la magie avait donné la vie et des vêtements richement brodés. Cela n'avait du reste aucune importance, ils étaient là pour le décor. Lorsqu'on eut un peu dansé, la princesse raconta au sorcier qu'elle avait un nouveau prétendant. Que devait-elle demander de deviner ?