Le bisaïeulpage 3 / 4
- C'est grave tout cela, dit le bisaïeul d'un air très sérieux. Cela me fait penser à une bonne vieille horloge, comme on en fabrique à Bornholmy, qui était chez mes parents, elle était enfermée dans un meuble en bois de chêne et marchait à l'aide de poids. Elle non plus n'allait pas toujours bien exactement, mais on ne s'en préoccupait pas. Nous regardions le cadran et nous avions foi en lui. Nous n'apercevions que lui, et l'on ne voyait rien des roues et des poids. C'est de même que marchaient le gouvernement et la machine de l'État. On avait pleine confiance en elle et on ne regardait que le cadran. Aujourd'hui c'est devenu une horloge de verre, le premier venu observe les mouvements des roues et y trouve à redire, on entend le frottement des engrenages, on se demande si les ressorts ne sont pas usés et ne vont pas se briser. On n'a plus la foi, c'est là la grande faiblesse du temps présent. Et le bisaïeul continua ainsi pendant longtemps jusqu'à ce qu'il arrivât à se fâcher complètement, bien que Frédéric finît par ne plus le contredire. Cette fois, ils se quittèrent en se boudant presque, mais il n'en fut pas de même lorsque Frédéric s'embarqua pour l'Amérique où il devait aller veiller à de grands intérêts de notre maison. La séparation fut douloureuse, s'en aller si loin, au-delà de l'océan, braver flots et tempêtes.
- Tranquillise-toi, dit Frédéric au bisaïeul qui retenait ses larmes, tous les quinze jours vous recevrez une lettre de moi, et je te réserve une surprise. Tu auras de mes nouvelles par le télégraphe, on vient de terminer la pose du câble transatlantique. En effet, lorsqu'il s'embarqua en Angleterre, une dépêche vint nous apprendre que son voyage se passait bien, et, au moment où il mit le pied sur le nouveau continent, un message de lui nous parvint traversant les mers plus rapidement que la foudre.
- Je n'en disconviendrai pas, dit le bisaïeul, cette invention renverse un peu mes idées, c'est une vraie bénédiction pour l'humanité, et c'est au Danemark qu'on a précisément découvert la force qui agit ainsi. Je l'ai connu, Christian Oersted, qui a trouvé le principe de l'électromagnétisme, il avait des yeux aussi doux, aussi profonds que ceux d'un enfant, il était bien digne de l'honneur que lui fit la nature en lui laissant deviner un de ses plus intimes secrets. Dix mois se passèrent, lorsque Frédéric nous manda qu'il s'était fiancé là-bas avec une charmante jeune fille, dans la lettre se trouvait une photographie. Comme nous l'examinâmes avec empressement ! Le bisaïeul prit sa loupe et la regarda longtemps.