Le bisaïeulpage 2 / 4
- Mais, disait-il, le siècle d'avant était encore bien plus empreint de grandeur, les hauts faits, les beaux caractères y abondaient.
- C'étaient des époques rudes et sauvages, interrompait alors mon frère Frédéric, Dieu merci, nous ne vivons plus dans un temps pareil. Il disait cela au bisaïeul en face, et ce n'était pas trop gentil. Cependant il faut dire qu'il n'était plus un enfant, c'était notre aîné, il était sorti de l'Université après les examens les plus brillants. Ensuite notre père, qui avait une grande maison de commerce, l'avait pris dans ses bureaux et il était très content de son zèle et de son intelligence. Le bisaïeul avait tout l'air d'avoir un faible pour lui, C'est avec lui surtout qu'il aimait à causer, mais quand ils en arrivaient à ce sujet du bon vieux temps, cela finissait presque toujours par de vives discussions, aucun d'eux ne cédait, et cependant, quoique je ne fusse qu'un gamin, je remarquai bien qu'ils ne pouvaient pas se passer l'un de l'autre. Que de fois le bisaïeul écoutait l'oreille tendue, les yeux tout plein de feu, ce que Frédéric racontait sur les découvertes merveilleuses de notre époque, sur des forces de la nature, jusqu'alors inconnues, employées aux inventions les plus étonnantes !
- Oui, disait-il alors, les hommes deviennent plus savants, plus industrieux, mais non meilleurs. Quels épouvantables engins de destruction ils inventent pour s'entre-tuer !
- Les guerres n'en sont que plus vite finies, répondait Frédéric, on n'attend plus sept ou même trente ans avant le retour de la paix. Du reste, des guerres, il en faut toujours, s'il n'y en avait pas eu depuis le commencement du monde, la terre serait aujourd'hui tellement peuplée que les hommes se dévoreraient les uns les autres. Un jour Frédéric nous apprit ce qui venait de se passer dans une petite ville des environs. À l'hôtel de ville se trouvait une grande et antique horloge, elle s'arrêtait parfois, puis retardait, pour ensuite avancer, mais enfin telle quelle, elle servait à régler toutes les montres de la ville. Voilà qu'on se mit à construire un chemin de fer qui passa par cet endroit, comme il faut que l'heure des trains soit indiquée de façon exacte, on plaça à la gare une horloge électrique qui ne variait jamais, et depuis lors tout le monde réglait sa montre d'après la gare, l'horloge de la maison de ville pouvait varier à son aise, personne n'y faisait attention, ou plutôt on s'en moquait.