Le Bon Dieu de Chemillé qui n'est ni pour ni contrepage 3 / 4
Sa prière dite, il se releva et commença par retrousser ses manches, ce qui fit voir après ses mains, ses belles mains de curé douces et polies par les bénédictions, deux poignets de boulanger solides comme des noeuds de frêne...
Vli ! vlan ! Du premier coup, le charretier eut sa pipe cassée entre les dents. Du second, il se trouva couché au fond du fossé, honteux, moulu, immobile. Après quoi le curé fit reculer la charrette, la rangea bien soigneusement au long du talus, la tête du cheval dans l'ombre d'un mûrier, et s'en alla au petit trot vers son malade, qu'il trouva assis dans ses rideaux d'indienne, remis de sa fièvre comme par miracle et en train de déboucher un vieux flacon de Vouvray mousseux, pour bien se reprendre à la vie. Je vous laisse à penser si notre curé l'aida dans son opération.
Depuis ce temps-là, le Bon Dieu de Chemillé est très-populaire en Touraine, et c'est lui que les Tourangeaux invoquent dans toutes leurs disputes : «Bon Dieu de Chemillé, ne sois ni pour ni contre...» C'est le vrai Dieu des batailles, ce Dieu de Chemillé qui ne fait de faveurs à personne et laisse chacun triompher selon sa force et son bon droit. Aussi, quand luira le jour, - vous savez, mes amis, ce que je veux dire, - ce n'est pas au vieux Sabaoth, le sanguinaire ami d'Augusta et de Guillaume, ce Sabaoth qu'on prend avec des Te Deum et des messes en musique, non ! ce n'est pas à celui-là qu'il faut adresser nos prières, mais au Bon Dieu de Chemillé, et voici ce que nous lui dirons :
PRIÈRE
Bon Dieu de Chemillé, les Français te prient. Tu sais ce que ces gens de là-bas nous ont fait... Maintenant l'heure de la revanche est venue... Pour la prendre, nous n'avons besoin de toi ni de personne, ayant cette fois de bons canons, des boutons à toutes nos guêtres et le droit de notre côté. Reste donc là bien tranquille à regarder notre bataille, et ne sois ni pour ni contre. L'affaire de ces gueux sera vite réglée.