Le Bon Dieu de Chemillé qui n'est ni pour ni contrepage 2 / 4
Voilà que, passé Villandry, là où la roche devient plus haute et le raidillon plus étroit, le curé de Chemillé fut tiré vivement de son sommeil par les «dia ! hue !» d'un charretier qui s'en venait en face de lui, avec un grand chariot de foin balancé lourdement à chaque tour de roue.
Le moment était critique. Même en se serrant le plus possible contre la roche, il n'y avait pas place pour deux dans le chemin... Redescendre jusqu'à la grand'-route ? Le curé ne le pouvait pas, ayant pris ce sentier pour aller plus vite et sachant son malade à toute extrémité. C'est ce qu'il essaya d'expliquer au charretier ; mais le rustre ne voulait rien entendre.
«J'en suis fâché, monsieur le curé, dit-il sans retirer sa pipe, mais la journée est trop chaude pour que je m'en retourne vers Azay par le détour. Bon pour vous, qui vous en allez bien tranquillement sur votre âne...
- Mais, malheureux, tu n'as donc pas vu ce que j'ai là ? C'est le Bon Dieu, mauvais chrétien, le Bon Dieu de Chemillé que je porte à un malade.
- Je suis de Villandry, ricana le charretier... Le Bon Dieu de Chemillé ne me regarde pas... Dia ! hue !» et le païen allongea un coup de fouet à son attelage pour le faire avancer, au risque d'envoyer l'âne et tout ce qu'il y avait dessus rouler au bas du coteau, dans le pâturage.
Notre curé n'était patient que tout juste. - «Ah ! c'est comme cela. Eh bien, attends !» Et, sautant à bas de sa bête, il posa bien délicatement le Bon Dieu de Chemillé au bord du chemin, sur une touffe de serpolet, parmi les genêts d'or et les lychnis blancs, vraie nappe d'autel fleurie et parfumée, comme on n'en trouve pas même à la cathédrale de Saint-Martin de Tours.
Puis le saint homme s'agenouilla et fit cette courte prière : «Bon Dieu de Chemillé, tu vois ce qui m'arrive et que ce mécréant va m'obliger de le mettre à la raison. Pour ce faire, je n'ai besoin de personne, ayant les poignets très-solides et le bon droit de mon côté... Reste donc là bien tranquille à regarder notre bataille et ne sois ni pour ni contre. Son affaire sera vite réglée».