Le Cabecillapage 1 / 4
Le bon père achevait de dire sa messe, quand on lui amena les prisonniers. C'était dans un coin sauvage des monts Arichulégui. Une roche éboulée, où un figuier géant enfonçait sa tige tordue, formait une sorte d'autel recouvert - en guise de nappe - d'un étendard carliste aux franges d'argent.
Deux alcarazas ébréchés tenaient lieu de burettes, et quand le sacristain Miguel, qui servait la messe, se levait pour changer les évangiles de côté, on entendait sonner les cartouches dans sa giberne.
Tout autour, les soldats de Carlos étaient rangés silencieusement, le fusil en bandoulière, un genou à terre sur le béret blanc. Un grand soleil, le soleil de Pâques en Navarre, concentrait sa chaleur éblouissante dans ce creux de roche brûlant et sonore, où le vol d'un merle gris traversait seul de temps en temps les psalmodies du prêtre et du servant. Plus haut, sur le pic en dentelle, des sentinelles se tenaient debout, dessinant dans le ciel des silhouettes immobiles.
Singulier spectacle, ce prêtre chef d'armée officiant au milieu de ses soldats ! Et comme la double existence du cabecilla se lisait bien sur sa physionomie ! L'air extatique, les traits durs, accentués encore par le teint bronzé du soldat en campagne, un ascétisme sans pâleur, où il manquait l'ombre du cloître, des yeux petits, noirs, très-brillants, le front traversé d'énormes veines qui semblaient nouer la pensée comme avec des cordes, la fixer dans un entêtement inextricable.
Chaque fois qu'il se retournait vers l'assistance, les bras ouverts pour dire Dominus vobiscum, on apercevait l'uniforme sous l'étole, et la crosse d'un pistolet, le manche d'un couteau catalan soulevant le surplis froissé. «Qu'est-ce qu'il va faire de nous ?» se demandaient les prisonniers avec terreur, et, en attendant la fin de la messe, ils se rappelaient tous les actes de férocité qu'on racontait du cabecilla et qui lui avaient valu un renom à part dans l'armée royaliste.