Le père Achillepage 3 / 4
Oh ! non, elle ne lui en veut pas ! Mais au fond du coeur elle est jalouse. Elle pense en le regardant qu'il y a de bien mauvaises chances dans la vie ; qu'il aurait dû être pour elle, cet enfant-là. Comme elle l'aurait bien soigné, bien élevé !... C'est qu'en vérité, c'est tout le portrait d'Achille ; seulement il a en plus un air d'effronterie, et elle ne peut pas s'empêcher de penser que son fils à elle, ce fils tant désiré, aurait eu quelque chose de plus posé, de plus honnête dans le regard et dans la voix.
La situation est un peu embarrassante. Ils se taisent tous les deux. Chacun songe de son côté. Tout à coup on entend des pas dans l'escalier. C'est le père. Il entre, long, voûté, avec la démarche traînante de l'ouvrier qui a passé beaucoup de lundis à flâner par les rues.
«Tiens, Achille, dit la femme, voilà quelqu'un qui veut te parler», et elle s'en va dans la pièce à côté, laissant son mari et le fils de la belle Sidonie en face l'un de l'autre. Au premier mot, Achille change de figure, l'enfant le rassure : «Oh ! vous savez, je ne vous demande rien ; je n'ai besoin de personne pour vivre ; je suis seulement venu vous voir, pas plus».
Le père balbutie :«Sans doute, sans doute... Tu as... vous avez très-bien fait, mon garçon».
C'est égal, cette paternité subite le gêne un peu, surtout devant sa femme. Il regarde du côté de la cuisine, et baissant la voix : «Tenez, descendons, il y a un marchand de vin en bas, nous serons mieux pour causer... Attends-moi, la mère, je reviens».
Ils descendent, s'attablent devant un litre, et on cause.
- Qu'est-ce que vous faites ? demande le père, moi je suis dans la charpente.
Le fils répond : «Moi dans la menuiserie».
- Est-ce que ça va bien, chez vous, les affaires ?
- Non, pas fort.
Et la conversation continue sur ce ton. Quelques détails de métier, c'est par là seulement qu'ils se tiennent. Du reste, pas la moindre émotion de se voir. Rien à se dire, rien. Pas un souvenir commun, deux vies complètement séparées qui n'ont jamais eu la moindre influence l'une sur l'autre.