Le père Achillepage 2 / 4
Le couvert est mis, la chambre en ordre. On frappe. «Entre donc !... La clef est sur la porte». On entre, mais ce n'est pas lui. C'est un grand beau garçon d'une vingtaine d'années, en bourgeron d'ouvrier. La mère Achille ne l'a jamais vu ; pourtant il y a pour elle dans l'expression de ce jeune et franc visage quelque chose d'intimement connu, et qui la trouble : «Qu'est-ce que vous demandez ?
- Le père Achille n'est pas là ?
- Non, mon garçon, mais il va rentrer bientôt. Si vous avez quelque chose à lui dire, vous pouvez l'attendre.
Elle avance une chaise ; puis, comme il lui est impossible de rester inactive, elle se remet à coudre dans l'embrasure de la croisée. Celui qui vient d'entrer regarde curieusement tout autour de la chambre. Il voit une photographie au mur, s'approche et l'examine avec attention : - C'est le père Achille, ça ?...
La femme est très-étonnée : - Vous ne le connaissez donc pas ?
- Non, mais ce n'est pas l'envie qui m'en manque.
- Mais, enfin, qu'est-ce que vous lui voulez ? Est-ce pour de l'argent que vous venez ? Il me semblait pourtant qu'il ne devait plus rien à personne, nous avons tout payé.
- Non, non, il ne me doit rien. C'est même assez singulier qu'il ne me doive rien, puisque c'est mon père.
- Votre père ?
Elle se lève toute pâle, son ouvrage lui glisse des mains.
- Oh ! vous savez, madame Achille, ce n'est pas pour vous faire affront, ce que je vous dis là... Je suis d'avant votre mariage. C'est moi le fils de Sidonie ; vous avez peut-être entendu parler de ma mère ?
En effet, elle connaît ce nom. Dans le commencement du ménage, ça l'a même rendue bien malheureuse. On lui disait que cette Sidonie, une ancienne de son mari, était une très-jolie fille et qu'à eux deux ils faisaient le plus joli couple du pays. Ces choses-là sont toujours dures à entendre.
Le garçon continue :
- Ma mère est une brave femme, allez ! D'abord, on m'avait mis aux Enfants-Trouvés ; mais, à dix ans, elle m'a repris. Elle a travaillé ferme pour m'élever, me faire apprendre un état... Ah ! je n'ai rien à lui reprocher, à elle ! Mon père, lui, c'est autre chose ; mais je ne suis pas venu pour cela... Je suis venu seulement pour le voir, pour le connaître. C'est vrai, ça m'a toujours taquiné, cette idée de ne pas connaître mon père. Tout petit, ça me tourmentait déjà et j'ai bien souvent fait pleurer ma mère avec mes questions : «Je n'ai donc pas de père, moi ? où est-il ? Qu'est-ce qu'il fait ?» Enfin un jour elle m'a avoué la vérité, et tout de suite je me suis dit : Il est à Paris, eh bien ! j'irai le voir. Elle voulait m'en empêcher. «Puisque je te dis qu'il est marié, que tu ne lui es plus rien, qu'il ne s'est jamais informé de toi». Ça n'a rien fait. Je voulais le connaître à toute force, et ma foi ! en arrivant à Paris, j'avais son adresse, et je suis venu tout droit. Il ne faut pas m'en vouloir, c'était plus fort que moi...