Monsieur Pointupage 1 / 4
M. Pointu était un petit homme maigre et actif qui ne se donnait pas un instant de repos. Un nez retroussé faisait seul saillie sur son visage pâle et criblé par la petite vérole; ses cheveux étaient gris et hérissés; ses petits yeux lançaient toujours des éclairs à droite et à gauche.
Il remarquait tout, critiquait tout, savait tout mieux que personne et avait toujours raison. En passant dans les rues, il agitait les bras avec tant d'ardeur qu'un jour il attrapa un seau d'eau qu'une jeune fille portait et le fit sauter en l'air, si bien qu'il en fut tout inondé. « Petite sotte, lut cria-t-il en se secouant, ne pouvais-tu pas voir que je venais derrière toi? »
De son état il était cordonnier, et, quand il travaillait, il tirait le ligneul avec une telle violence qu'il envoyait à ceux qui ne se tenaient pas à distance honnête de grands coups de poing dans les côtes. Aucun ouvrier ne pouvait rester plus d'un mois chez lui, parce qu'il trouvait toujours à redire à l'ouvrage le mieux fait. C'étaient des points de couture inégaux, un soulier plus long ou un talon plus haut que l'autre; ou bien c'était le cuir qui n'avait pas été assez battu. » Attends, disait-il à l'apprenti, je vais t'apprendre comment on assouplit la peau. » Et il lui administrait sur le dos deux coups de tire-pied.
Il appelait tous ses gens paresseux, et cependant lui-même ne faisait pas grande besogne, car il ne tenait pas deux minutes en place. Si sa femme s'était levée matin et avait allumé le feu, il sautait du lit et courait nu-pieds dans la cuisine. « Veux-tu donc brûler la maison? lui criait-il, voilà un feu à rôtir un bœuf ! on dirait que le bois ne coûte rien.
Si les servantes, occupées à laver, riaient ensemble autour de la cuve en se racontant les nouvelles, il les tançait d'importance : « Les voilà parties, les sottes oies! elles font aller leur bec, et pour le caquet, elles oublient leur ouvrage. Et le savon, que devient-il dans l'eau? Gaspillage et paresse! elles épargnent leurs mains et se dispensent de frotter le linge! » Et, dans sa colère, il trébuchait contre un seau plein de lessive, et la cuisine en était inondée.