Romance.
Combien j'ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance !
Ma soeur, qu'ils étaient beaux les jours
De France !
O mon pays, sois mes amours
Toujours !
Te souvient-il que notre mère,
Au foyer de notre chaumière,
Nous pressait sur son coeur joyeux,
Ma chère ?
Et nous baisions ses blancs cheveux
Tous deux.
Ma soeur, te souvient-il encore
Du château que baignait la Dore ;
Et de cette tant vieille tour
Du Maure,
Où l'airain sonnait le retour
Du jour ?
Te souvient-il du lac tranquille
Qu'effleurait l'hirondelle agile,
Du vent qui courbait le roseau
Mobile,
Et du soleil couchant sur l'eau,
Si beau ?
Oh ! qui me rendra mon Hélène,
Et ma montagne et le grand chêne ?
Leur souvenir fait tous les jours
Ma peine :
Mon pays sera mes amours
Toujours !
François René De Chateaubriand
Les vains efforts
Mon âme, défends-toi du désir aveuglé
Qui d'un mouvement déréglé
Sous des fers éclatants te veut rendre asservie,
Et d'un sage conseil rejette le poison
Qui pourrait nous ôter la vie,
Nous ayant ôté la raison.
Considère qu'Amour avecque des appas
Nous veut déguiser mon trépas
En t'offrant en victime aux plus beaux yeux du monde,
Et qu'entrer au dédale où tu vas t'égarant
Est vouloir s'embarquer sur l'onde
Quand le naufrage est apparent.
Celle qui tient ma vie et ma mort en ses mains
Rebute les voeux des humains
Comme indignes devoirs dont sa grandeur s'irrite,
Et l'on ne peut sans crime aimer en si haut lieu,
Si ce n'est qu'avec le mérite
On ait la naissance d'un dieu.
Bornons donc nos désirs, et croyons sagement
Tout ce que notre jugement
Peut apporter d'utile au soin qui nous possède.
Étouffons au berceau ces pensers amoureux,
Et par un si cruel remède
Évitons un mal dangereux.
Mais, ô lâche conseil, de qui la trahison
Me veut tirer d'une prison
Que mon ambition préfère à cent couronnes,
En vain par la terreur tu m'en crois dégager.
Va-t-en glacer d'autres personnes
Qui s'étonnent pour le danger.
De moi, nulle raison ne saurait m'empêcher
De servir un objet si cher :
Le péril qui s'y trouve augmente mon courage,
Et si dans ce dessein je trouve mon cercueil,
Ma vie au moins en ce naufrage
Fera bris contre un bel écueil.
Encore que mes soins m'attirent son mépris,
Ma foi ne sera pas sans prix,
Et j'aurai de la gloire avec de la disgrâce,
Car on dira toujours en parlant de mon sort :
Daphnis eut une belle audace,
Et mourut d'une belle mort.
François Tristan L'Hertmite
Qu'est-ce pour nous, mon coeur...
Qu'est-ce pour nous, mon coeur, que les nappes de sang
Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris
De rage, sanglots de tout enfer renversant
Tout ordre ; et l'Aquilon encor sur les débris ;
Et toute vengeance ? Rien !... - Mais si, toute encor,
Nous la voulons ! Industriels, princes, sénats :
Périssez ! puissance, justice, histoire : à bas !
Ça nous est dû. Le sang ! le sang ! la flamme d'or !
Tout à la guerre, à la vengeance, à la terreur,
Mon esprit ! Tournons dans la morsure : Ah ! passez,
Républiques de ce monde ! Des empereurs,
Des régiments, des colons, des peuples, assez !
Qui remuerait les tourbillons de feu furieux,
Que nous et ceux que nous nous imaginons frères ?
A nous, romanesques amis : ça va nous plaire.
Jamais nous ne travaillerons, ô flots de feux !
Europe, Asie, Amérique, disparaissez.
Notre marche vengeresse a tout occupé,
Cités et campagnes ! - Nous serons écrasés !
Les volcans sauteront ! Et l'Océan frappé...
Oh ! mes amis ! - Mon coeur, c'est sûr, ils sont des frères :
Noirs inconnus, si nous allions ! Allons ! allons !
Ô malheur ! je me sens frémir, la vieille terre,
Sur moi de plus en plus à vous ! la terre fond,
Ce n'est rien ! j'y suis ! j'y suis toujours.
Arthur Rimbaud