L'aiguille à repriserpage 2 / 3
-Quelque chose d'approchant. " Et alors chacun d'eux fut persuadé que l'autre était d'un grand prix. Et leur conversation roula principalement sur l'orgueil qui règne dans le monde. " J'ai habité une boîte qui appartenait à une demoiselle, dit l'aiguille. Cette demoiselle était cuisinière. À chaque main elle avait cinq doigts. Je n'ai jamais rien connu d'aussi prétentieux et d'aussi fier que ces doigts, et cependant ils n'étaient faits que pour me sortir de la boîte et pour m'y remettre.
-Ces doigts-là étaient-ils nobles de naissance ? demanda le tesson.
-Nobles ! reprit l'aiguille, non, mais vaniteux. Ils étaient cinq frères… et tous étaient nés… doigts ! Ils se tenaient orgueilleusement l'un à côté de l'autre, quoique de différente longueur. Le plus en dehors, le pouce, court et épais, restait à l'écart, comme il n'avait qu'une articulation, il ne pouvait s'incliner qu'en un seul endroit, mais il disait toujours que, si un homme l'avait une fois perdu, il ne serait plus bon pour le service militaire. Le second doigt goûtait des confitures et aussi de la moutarde, il montrait le soleil et la lune, et c'était lui qui appuyait sur la plume lorsqu'on voulait écrire. Le troisième regardait par-dessus les épaules de tous les autres. Le quatrième portait une ceinture d'or, et le petit dernier ne faisait rien du tout : aussi en était-il extraordinairement fier. On ne trouvait rien chez eux que de la forfanterie, et encore de la forfanterie : aussi je les ai quittés. À ce moment, on versa de l'eau dans l'évier. L'eau coula par-dessus les bords et les entraîna. " Voilà que nous avançons enfin ! " dit l'aiguille. Le tesson continua sa route, mais l'aiguille s'arrêta dans le ruisseau. "Là ! je ne bouge plus, je suis trop fine, mais j'ai bien droit d'en être fière ! " Effectivement, elle resta là tout entière à ses grandes pensées. " Je finirai par croire que je suis née d'un rayon de soleil, tant je suis fine ! Il me semble que les rayons de soleil viennent me chercher jusque dans l'eau. Mais je suis si fine que ma mère ne peut pas me trouver. Si encore j'avais l'oeil qu'on m'a enlevé, je pourrais pleurer du moins ! Non, je ne voudrais pas pleurer : ce n'est pas digne de moi ! " Un jour, des gamins vinrent fouiller dans le ruisseau. Ils cherchaient de vieux clous, des liards et autres richesses semblables. Le travail n'était pas ragoûtant, mais que voulez vous ? Ils y trouvaient leur plaisir, et chacun prend le sien où il le trouve. " Oh ! la, la ! s'écria l'un d'eux en se piquant à l'aiguille. En voilà une gueuse !