Les aventures du chardonpage 6 / 10
"Voleurs, brigands ! s'écriait le chardon indigné, que ne puis-je vous transpercer de mes dards ! Comment osez-vous ravir leur parfum à ces fleurs qui sont destinées à orner la boutonnière des galants !"
Quoi qu'il pût dire, il n'y avait pas de changement dans sa situation. Les fleurs finissaient par laisser pencher leurs petites têtes. Elles pâlissaient, se fanaient ; mais il en poussait toujours de nouvelles : à chacune qui naissait, le père disait avec une inaltérable confiance :
"Tu viens comme marée en carême, impossible d'éclore plus à propos. J'attends à chaque minute le moment où nous passerons de l'autre côté de la haie."
Quelques marguerites innocentes, un long et maigre plantin qui poussaient dans le voisinage, entendaient ces discours, et y croyaient naïvement. Ils en conçurent une profonde admiration pour le chardon, qui, en retour, les considérait avec le plus complet mépris. Le vieil âne, quelque peu sceptique par nature, n'était pas aussi sûr de ce que proclamait avec tant d'assurance le chardon. Toutefois, pour parer à toute éventualité, il fit de nouveaux efforts pour attraper ce cher chardon avant qu'il fût transporté en des lieux inaccessibles. En vain il tira sur son licou ; celui-ci était trop court et il ne put le rompre. À force de songer au glorieux chardon qui figure dans les armes d'Écosse, notre chardon se persuada que c'était un de ses ancêtres ; qu'il descendait de cette illustre famille et était issu de quelque rejeton venu d'Écosse en des temps reculés. C'étaient là des pensées élevées, mais les grandes idées allaient bien au grand chardon qu'il était, et qui formait un buisson à lui tout seul. Sa voisine, l'ortie, l'approuvait fort…