Le vilain petit canardpage 6 / 10
Vers le soir, il atteignit une pauvre petite cabane de paysan ; elle était si misérable qu'elle ne savait pas de quel côté elle devait tomber, si bien qu'elle restait debout. La tempête faisait tellement rage autour du caneton qu'il dut s'asseoir sur sa queue pour y résister ; et cela devenait de pis en pis ; mais il s'aperçut que la porte avait perdu un de ses gonds, en sorte qu'elle était accrochée de guingois, et que par la fente il pouvait se faufiler dans la cabane c'est ce qu'il fit.
C'était la demeure d'une vieille femme qui vivait avec son chat et sa poule, et le chat, qu'elle appelait Fiston, savait faire gros dos et ronronner, et même il jetait des étincelles, mais pour cela il fallait le caresser à rebrousse-poil ; la poule avait de très petites pattes basses, et pour cette raison s'appelait Kykkeli-courtes pattes elle pondait bien, et la femme l'aimait comme son propre enfant.
Le matin, on vit tout de suite le caneton étranger, et le chat se mit à ronronner et la poule à glousser.
- Qu'y a-t-il ? dit la femme, qui regarda autour d'elle.
Mais elle ne voyait rien, et crut que c'était une cane grasse qui s'était égarée.
- Voilà une bonne prise, dit-elle, je vais avoir des oeufs de cane pourvu que ce ne soit pas un canard ! Enfin, on verra !
Et le canard fut admis pendant trois semaines, pour voir, mais aucun oeuf ne vint. Et le chat était le maître de la maison et la poule la maîtresse, et ils disaient toujours : " Nous et le monde ", car ils croyaient en composer la moitié, et la meilleure. Le caneton pensait que l'on pouvait être d'un autre avis, mais c'était une opinion que la poule n'admettait pas.
- Sais-tu pondre ? demandait-elle.
- Non.
- Alors, tu n'as qu'à te taire.
Et le chat disait :
- Sais-tu faire le gros dos, ronronner, et faire jaillir des étincelles ?
- Non.
- Alors tu n'as rien à dire quand les gens raisonnables parlent.
Et le caneton restait dans son coin, et il était de mauvaise humeur; aussi vint-il à penser au grand air et à l'éclat du soleil ; il eut un singulier désir de nager sur l'eau, il finit par ne pouvoir s'empêcher d'en parler à la poule.