Riquet à la houppepage 3 / 7
-"Je ne comprends point, Madame, comment quelqu'un aussi belle que vous l'êtes peut être aussi triste que vous le paraissez; car, quoique je puisse me vanter d'avoir vu une infinité de belles dames, je puis dire que je n'en ai jamais vu dont la beauté approche de la vôtre."
-" Cela vous plaît à dire, Monsieur", lui répondit la princesse, et en demeure là.
-"La beauté, " reprit Riquet à la houppe, " est un si grand avantage qu'il doit tenir lieu de tout le reste; et quand on le possède, je ne vois pas qu'il y ait rien qui puisse nous affliger beaucoup."
-" J'aimerais mieux, " dit la princesse, " être aussi laide que vous et avoir de l'esprit, que d'avoir de la beauté comme j'en ai, et être bête autant que je le suis."
-" Il n'y a rien, Madame, qui marque davantage qu'on a de l'esprit, que de croire n'en pas avoir, et il est de la nature de ce bien-là, que plus on en a, plus on croit en manquer."
-" Je ne sais pas cela», dit la princesse, " mais je sais bien que je suis fort bête, et c'est de là que vient le chagrin qui me tue."
-" Si ce n'est que cela, Madame, qui vous afflige, je puis aisément mettre fin à votre douleur."
-" Et comment ferez-vous ?" dit la princesse.
-" J'ai le pouvoir, Madame, dit Riquet à la houppe, de donner de l'esprit autant qu'on en saurait avoir à celle que je dois aimer le plus; et comme vous êtes, Madame, celle-là, il n'en tiendra qu'à vous que vous n'ayez autant d'esprit qu'on en peut avoir, pourvu que vous vouliez bien m'épouser."La princesse demeura toute interdite, et ne répondit rien.
-"Je vois», reprit Riquet à la houppe, " que cette proposition vous fait de la peine, et je ne m'en étonne pas; mais je vous donne un an tout entier pour vous y résoudre."
La princesse avait si peu d'esprit, et en même temps une si grande envie d'en avoir, qu'elle s'imagina que la fin de cette année ne viendrait jamais; de sorte qu'elle accepta la proposition qui lui était faite.