Le jeune géantpage 5 / 8
Il resta couché encore deux heures ; au bout de ce temps, il se leva, alla cueillir deux boisseaux de pois, et s'en fit une bonne bouillie qu'il mangea paisiblement, après quoi il attela les chevaux pour conduire la charrette au bois.
Pour arriver à la forêt, il fallait prendre un chemin creux; il y fit d'abord passer sa charrette, puis, arrêtant les chevaux, il revint par derrière et boucha la route avec un abatis d'arbres et de broussailles, si bien qu'il n'y avait plus moyen de passer, Quand il entra dans la forêt, les autres s'en retournaient avec leurs charrettes chargées. Il leur dit : « Allez, allez toujours, je serai à la maison avant vous. » Et, sans pousser plus loin, il se contenta d'arracher deux arbres énormes qu'il jeta sur sa charrette, puis il prit le chemin du retour.
Quand il arriva devant l'abatis qu'il avait préparé, les autres y étaient arrêtés et ne pouvaient pas passer. « Eh bien! leur dit-il, si vous étiez restés comme moi ce matin vous auriez dormi une heure de plus, et vous n'en seriez pas rentrés plus tard ce soir. » Et comme ses chevaux ne pouvaient plus avancer, il les détela, les mit sur une charrette, et, prenant lui-même le timon à la main, il entraîna tout cela comme une poignée de plumes.
Quand il fut de l'autre côté : « Vous voyez, dit-il aux autres, que je m'en tire plus vite que vous; » et il continua son chemin sans les attendre. Arrivé dans la cour, il prit un arbre dans sa main et le montra au fermier, en disant : « N'est-ce pas une jolie bûche?» Le fermier dit à sa femme : « C'est un bon serviteur; s'il se lève plus tard que les autres, il est de retour avant eux. »
Il servit le fermier pendant un an. Quand l'année fut expirée et que les autres valets reçurent leurs gages, il demanda aussi à se payer des siens. Mais le fermier, terrifié de la perspective des coups à recevoir, le pria instamment de lui en faire la remise, lui déclarant qu'il aimerait mieux devenir lui-même son valet, et le faire fermier à sa place. « Non, répondit-il, je ne veux pas être fermier; je suis maître valet et je veux rester tel; mais ce qui a été convenu doit être exécuté. »