La mort à dînerpage 3 / 3
L'homme avait, en effet retourné son assiette et son verre. En entendant les paroles de Laou, il leva lentement la tête. Et Laou vit que cette tête était une tête de mort. L'homme se mit sur pied, secoua ses haillons qui s 'éparpillèrent à terre, et Laou vit qu'à chaque haillon était accroché un lambeau de chair pourri. L'odeur qui s'en exhalait, et aussi la peur, le prit à la gorge. Laou retint son haleine pour n'aspirer point cette pourriture et demanda au squelette : "Qui es-tu et que veux-tu de moi ?"
Le squelette, dont les os se voyaient maintenant à nu comme les branches d'un arbre dépouillé de ses feuilles, s'avança jusqu'à Laou et, lui posant sur l'épaule une main décharnée, lui dit :
"Trugaré, Laou ! Quand je t'ai demandé au cimetière, si je pouvais venir aussi, tu m'as répondu qu'il n'y aurait personne de trop. Tu t'avises un peu trop tard de t'informer qui je suis. C'est moi qu'on nomme l'Ankou (la mort). Comme tu as été gentil pour moi, en m'invitant au même titre que les autres, j'ai voulu te donner à mon tour une preuve d'amitié, en te prévenant qu'il ne te reste pas plus de huit jours pour mettre tes affaires en règle. Dans huit jours je repasserais par ici en voiture, et, que tu sois prêt ou non, j'ai mission de t'emmener. Donc, à mardi prochain ! Le repas que je te ferais servir ne vaudra peut-être pas le tien, mais la compagnie sera encore plus nombreuse. " A ces mots, l'Ankou disparut.
Laou ar Braz passa la semaine à faire le partage de ses biens entre ses enfants ; le dimanche, à l'issue de la messe, il se confessa ; le lundi, il se fit apporter la communion par le recteur de Pleyber-Christ et ses deux acolytes ; le mardi soir, il mourut. Sa largesse lui avait valu de faire une bonne mort.
Ainsi soit-t-il pour chacun de nous !